Collections

La barque carolingienne de Noyen-sur-Seine

Découverte par hasard en 1992, au cours de travaux d’aménagement de la Seine, cette barque carolingienne exceptionnelle mesure 14,50 mètres de long. Elle gisait à 4 mètres de profondeur, protégée par des dépôts alluviaux anciens.

Découverte et travaux de terrain

Une imposante barque monoxyle

En octobre 1992, la reconstruction du barrage-écluse du Vezoult et le creusement d'un canal recoupant une boucle de la Seine ont entraîné la découverte d’une importante embarcation carolingienne, en amont de Noyen-sur-Seine (Seine-et-Marne). À sa découverte, l’une des extrémités a été endommagée par une pelle mécanique.

Cette barque carolingienne est une embarcation monoxyle, c'est-à-dire taillée dans un seul tronc d’arbre, sans aucun assemblage. L’arrière de la barque correspond à la base du tronc et l’avant à la partie haute du fût de l’arbre. Sa réalisation est soignée, comme en témoignent la régularité des flancs et le façonnage des extrémités. Divers aménagements sont observables, mais leur interprétation reste en grande partie hypothétique.

Très peu de vestiges ou d’objets ont été trouvés aux abords de la barque, et aucun indice n’indique la cause de l'échouage ou la nature de sa cargaison. Le travail de terrain a été consacré à la fouille de l'embarcation et à son étude préliminaire. La réalisation d'une structure bâtie a permis son prélèvement sans risque de la briser et sa manutention pendant toute la durée de son étude et de son traitement avant présentation au musée. Toutes ces opérations ont été conduites par le service départemental d’archéologie de Seine-et-Marne, en relation avec des laboratoires spécialisés dans la datation et la conservation des bois gorgés d’eau.

Méthode de conservation et de restauration

La spécificité des bois gorgés d’eau

Les objets en bois conservés pendant plusieurs siècles ou millénaires dans des dépôts naturels de tourbe constamment humides sont dits « gorgés d’eau ». Il est alors primordial de conserver ces objets en atmosphère humide pour éviter leur dégradation par dessèchement au contact de l’air.

Pour pouvoir être exposés sans dommage à l’air libre, les bois gorgés d’eau doivent subir des traitements visant à remplacer progressivement l’eau présente dans leurs fibres par des résines de synthèse, le plus souvent du polyéthylène glycol.

Tout a été organisé en ce sens, dès l’arrivée de l’embarcation au laboratoire ARC- Nucléart (CEA) de Grenoble. Une première étape a permis de parfaire le nettoyage de la pièce, d'en poursuivre l'étude et d'établir des relevés détaillés. La technique de traitement pour sa conservation a été une imprégnation au polyéthylène glycol 4000 (PEG 4000) par immersion totale dans un bain à 60° C. Le taux de résine a été augmenté de façon progressive jusqu’à ce que le bois soit saturé, puis un séchage lent et contrôlé a été opéré. Ce traitement a nécessité la construction d’une cuve sur mesure. Il a débuté en janvier 1994 et a duré 18 mois.

À l’issue de cette première imprégnation, des déformations de la barque ont été constatées. Une seconde opération a donc été nécessaire pour assurer la remise en forme de l’objet. Parallèlement, le remontage de la partie arrachée a été engagé dans le but de restituer la ligne d'ensemble de l’embarcation.

La barque restaurée a été installée au musée en mars 2005.

De l'arbre à la pirogue

Datation et mode de construction

En utilisant la méthode de datation par dendrochronologie, les archéologues ont établi que cette barque avait été taillée dans le tronc d’un chêne de 158 ans abattu pendant l’hiver 834-835 de notre ère.

La croissance des arbres se traduit, chaque année, par la formation d'une nouvelle couche de bois sous l'écorce du tronc. En regardant la succession des cernes de croissance d’un grand nombre de bois anciens retrouvés lors de fouilles archéologiques sur une même région, les scientifiques ont établi une courbe de référence qui a permis de remonter le temps à partir du présent et de dater cette nouvelle découverte.

La position restituée de l’objet dans la grume de bois et l’observation détaillée des traces d’impacts d’outils laissées sur les surfaces travaillées ont permis de comprendre son mode de fabrication. De nombreux outils ont été utilisés pour sa réalisation : haches, scies, herminettes, ciseaux à bois, gouges, etc. Contrairement aux embarcations de la Préhistoire et de l’âge du Bronze, le feu n’a pas été utilisé pour évider le tronc.

Vingt années de recherches archéologiques à Noyen-sur-Seine

D’une pirogue à l’autre...

Les différentes fouilles du site de Noyen-sur-Seine (de 1970 à 1987 et de 1992 à 1993) ont livré de nombreux vestiges correspondant à 9 millénaires d'occupation humaine.

Cette grande barque carolingienne a été découverte à 500 mètres du lieu où avait été découverte précédemment une pirogue monoxyle plus ancienne, datant du Mésolithique, elle aussi conservée au musée.

Après cette première pirogue monoxyle en pin datée du début du 7ème millénaire avant Jésus-Christ et comptant parmi les plus anciennes connues en Europe, la grande barque carolingienne offre un second témoignage de la navigation sur la Seine. Sa conception, à partir d'un seul tronc de chêne, montre d’importantes similitudes techniques avec la pirogue mésolithique, bien que près de 8 millénaires les séparent.

Les embarcations de Noyen-sur-Seine illustrent l'apport de l'archéologie fluviale en Bassée, où les sites terrestres sont nombreux (Marolles-sur-Seine, Gravon, Châtenay, Grisy-sur-Seine, etc.). Si la plus ancienne répond aux besoins de subsistance d’une communauté de chasseurs-pêcheurs, la barque carolingienne de type « chaland » illustre un mode d’exploitation plus spécialisé de la voie d’eau, où domine le transport.